Deux types d’actes criminels exploitent la volonté migratoire : le trafic illicite de migrants et la traite des êtres humains. La traite désigne depuis le Protocole additionnel à la Convention des Nations-unies sur la lutte contre la criminalité organisée (dit « Protocole de Palerme ») une action (recrutement, hébergement…), un moyen (contrainte, violences, abus de vulnérabilité…) et un but (l’exploitation de la personne). Elle recouvre des actes ayant une dimension transnationale.
L’objet de ce travail porte sur les difficultés rencontrées par le droit pour lutter contre cette pratique criminelle. Pour ce faire, l’option retenue consiste à aborder la place, voire le rôle de la personne exploitée dans les faits. La personne qualifiée juridiquement de victime de traite des êtres humains n’est-elle que victime, c’est-à-dire subit-elle intégralement les faits ou y prend-elle part pour partie ? Est-elle totalement instrumentalisée par l’auteur ou garde-t-elle la qualité de sujet de ses actes ?
De la réponse à ces questions dépend le statut juridique souhaitable.
Ces questions ont été analysées grâce à des enquêtes de terrain et à l’étude des normes applicables. Deux types d’enquêtes ont été effectués :
- Une série d’entretiens a été réalisée auprès des victimes de traite nigérianes exploitées dans cinq villes de France. A ainsi été mise en évidence la mise en œuvre d’une stratégie d’emprise par les proxénètes nigérianes, dont le but est d’anéantir la liberté de choix des victimes. Des facteurs particulièrement fragilisants dans l’histoire des victimes et les éléments favorisant la sortie de l’exploitation ont pu être identifiés.
- D’autre part, des entretiens ont été conduits auprès des acteurs du droit au contact des victimes, dans les mêmes cinq villes.
Ont ainsi été démontrées les disparités considérables rencontrées dans l’application de la loi. Ce point a trouvé pour partie explication dans l’analyse du dispositif normatif caractérisé par le flou des critères fondant l’accès à une protection, flou qui s’explique notamment par l’ambiguïté des objectifs visés. Le conditionnement de la protection à la coopération des victimes avec les autorités judiciaires, telle qu’il résulte du droit de l’Union européenne et du droit français se révèle donc largement regrettable en raison du type de contraintes exercé par les proxénètes. On peut croire qu’il ne fait qu’accroître le pouvoir des auteurs sur les victimes. Néanmoins, le néo-libéralisme dans lequel il s’inscrit nous donne à penser que ce point n’est pas susceptible d’évoluer dans un avenir proche. Aussi, l’urgence semble être de mieux appliquer la loi à la fois dans l’intérêt des victimes mais également pour améliorer la répression. Sur ce point, la nécessité d’améliorer le dialogue entre les acteurs afin de diminuer la part d’aléa qui caractérise à ce jour l’application de la norme ressort de manière unanime. L’aléa a souvent pour effet la non information des victimes par les acteurs de terrain qui craignent de les mettre davantage encore en danger en les incitant à déposer plainte sans bénéficier par la suite de la protection adéquate. L’insécurité juridique qui caractérise à ce jour l’application du droit profite donc directement aux proxénètes qui sont assurées du silence de celles qu’ils exploitent. La répression des actes commis ne saurait donc être effective sans une réelle volonté d’appliquer le droit favorable aux victimes.