- Cet événement s’est tenu à la Fondation Universitaire à Bruxelles le 5 juin 2024 sur le thème « Dialogue pratique sur la Justice restaurative en matière pénale – Regards croisés franco-belge ». Il avait pour vocation de mettre en lumière les avancées, les défis et les perspectives de la Justice restaurative dans les systèmes pénaux français et belge.
- Après une présentation de la recherche de Delphine Griveaud, enseignante, sociologue et lauréate du prix Jean Carbonnier 2023 et de Sandrine Lefranc, directrice de recherche au CNRS, intitulée « Pratiques et effets de la justice restaurative en France » et publiée en mai 2024 par l’IERDJ, cette édition a fait l’objet de riches débats croisés entre la France et la Belgique.
Chaque année, l’IERDJ propose une séance exceptionnelle « hors les murs » de son rendez-vous mensuel « Arrêt sur recherche ». Présidée par Valérie Sagant, directrice de l’IERDJ et Françoise Tulkens, Présidente du Conseil scientifique de l’IERDJ, ancienne vice-présidente de la Cour européenne des droits de l’Homme, cette séance s’est tenue à la Fondation Universitaire à Bruxelles, avec, pour objectif de mettre en lumière les avancées, les défis et les perspectives de la Justice restaurative dans les systèmes pénaux français et belge.
La Justice restaurative est un dispositif gratuit visant à permettre aux auteurs et aux victimes d’infractions de dialoguer, sur la base du volontariat, dans un cadre confidentiel et sécurisé, en complément et à tous les stades de toutes procédures pénales.
Valérie Sagant a souligné en introduction « l’importance de la pluridisciplinarité et de l’enquête empirique » et « la nécessité que les recherches influencent les politiques publiques et les pratiques de terrain ».
Présentation des travaux de recherche
Delphine Griveaud et Sandrine Lefranc ont décrit leurs travaux sur la justice restaurative, ses attentes et son intégration paradoxale dans les systèmes pénaux grâce à leur recherche empirique innovante. Sandrine Lefranc a ainsi exploré le concept des « justices alternatives », en particulier dans le contexte des crimes de masse, et a posé la question de la réponse judiciaire lorsque les criminels sont nombreux et les discriminations absentes.
Delphine Griveaud, quant à elle, a présenté sa thèse ethnographique sur l’intégration paradoxale de la justice alternative dans le système pénal, révélant un espace hybride à la fois dedans et dehors du système. « En France, la Justice restaurative a émergé bien plus tardivement qu’en Belgique, où ce dispositif est né dans les années 90. Lors de son entrée en vigueur en 2014, elle était incarnée selon trois pratiques par le ministère de la Justice : la médiation restaurative, la rencontre entre détenus et victimes et les cercles restauratifs pour les sortants de détention. »
Regards franco-belge en matière de Justice restaurative pour les mineurs : un modèle innovant et inclusif
Les échanges se sont poursuivis avec les interventions des professionnelles de la Justice restaurative. Géraldine Bodart, directrice du centre GACEP (Guidances d’actions compensatrices, éducatives ou probatoires), qui a présenté l’approche belge en matière de Justice restaurative pour les mineurs délinquants. Elle a ainsi souligné que « cette approche ne prévoit aucun critère d’exclusion en fonction de la gravité des faits », mettant en avant le rôle crucial des magistrats dans l’initiation de ces procédures.
Catherine Vanbellighen, médiatrice au Centre pour une justice restaurative, a détaillé la pratique de la médiation restaurative en Belgique. Elle a rappelé que, « depuis la loi de 2007, toute personne a le droit de recourir à ce service », en détaillant les divers processus de médiation et les droits des justiciables dans ce cadre.
Laurence Waeterloos, directrice du SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) de Lille, a évoqué l’implantation des cercles de soutien et de responsabilisation pour les auteurs d’infractions sexuelles, une innovation majeure en France. Elle a d’ailleurs insisté sur « l’importance de la formation et de l’engagement des professionnels du SPIP pour la réussite de ces dispositifs ».
Anne-Sophie Delfosse, criminologue au sein du parquet Famille Jeunesse du ministère public Belge, a illustré l’innovation que représente l’intégration des criminologues au sein des parquets. Cette mesure, qui renforce le lien entre les services sociaux et la justice, apporte un soutien précieux aux magistrats, particulièrement en matière familiale et de délinquance des mineurs.
Justice restaurative : des tensions politiques, pratiques et organisationnelles
Si les précédents travaux de recherche et rapports évaluatifs tendent à dresser un bilan très optimiste de ce dispositif depuis sa démocratisation, une enquête de terrain révèle une mise en application fragile en France. Géraldine Bodart a ainsi souligné la nécessité de maintenir une séparation stricte entre les mesures de Justice restaurative et la procédure pénale en Belgique, tandis que Catherine Vanbellighen a mis en avant « l ‘importance des partenariats et de la circulation de l’information en milieu carcéral ».
Delphine Griveaud a, quant à elle, introduit la question des effets de la justice restaurative, évoquant les ambivalences du système pénal français où ces mesures, bien que complémentaires, sont sous le contrôle des juges sans impact direct sur la situation pénale. La discussion a également révélé une ambivalence similaire sur le terrain, où les professionnels de la justice pénale doivent jongler entre soutien et contrôle.
Evaluer les effets durables de la Justice restaurative
Les propos conclusifs ont mis en avant la nécessité de poursuivre les recherches pour évaluer les effets durables de la Justice restaurative, notamment à travers des enquêtes longitudinales. Françoise Tulkens a rappelé la responsabilité des chercheurs de faire connaître ces travaux et de continuer à explorer les bénéfices et les défis de la justice restaurative.
Cet « Arrêt sur recherche » a ainsi permis de souligner l’importance de la collaboration entre chercheurs, praticiens et décideurs pour faire avancer la Justice restaurative sur le continent européen. Ce dialogue ouvre des perspectives prometteuses pour une justice plus humaine, capable de répondre aux besoins des victimes et des auteurs d’infractions, tout en renforçant la cohésion sociale.