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Rencontre avec Alice Lacchei, jeune chercheuse italienne accueillie en résidence au sein de l’IERDJ

Alice Lacchei, jeune chercheuse italienne, a été accueillie depuis avril 2022 en résidence au sein de l’IERDJ dans le cadre de sa thèse « La protection internationale devant les tribunaux de première instance. Le travail quotidien des juges en Italie et en France ». Son séjour vient de s’achever fin juillet.

Alice Lacchei

En effet, je crois fermement à l’utilité de la collaboration entre la recherche et les institutions, dont l’Institut constitue un excellent exemple. Cela est en effet nécessaire pour l’amélioration des institutions mais aussi pour que la recherche puisse répondre aux besoins concrets de la société et soit en phase avec la réalité.

En outre, pour toute personne qui comme moi s’intéresse au fonctionnement de la justice et à la relation complexe entre le droit et la société, l’Institut est certainement un lieu propice ainsi qu’une référence.

Laetitia Louis-Hommani : Vous avez été accueillie en résidence à l’IERDJ dans le cadre de votre thèse, pourriez-vous nous la présenter ?

Alice Lacchei : Ma recherche a pour objectif de comprendre et d’analyser les espaces et les usages de la discrétion aux niveaux individuel et organisationnel à travers l’étude des pratiques de travail des acteurs en charge de l’analyse des recours en matière de protection internationale dans une perspective comparée entre la France et l’Italie. Ces pays présentent en effet des similitudes du point de vue de leurs institutions qu’on peut qualifier de bureaucratisées ainsi que du recrutement et de la socialisation des juges et de leur haut degré d’indépendance, mais aussi des divergences, qui tiennent à des modèles différents d’organisation du traitement des recours en matière de protection internationale, centralisé en France et décentralisé en Italie, et au statut des juges, administratifs en France et judiciaires en Italie. Si les travaux existants sur ce sujet se sont concentrés sur l’évaluation de la crédibilité des demandes d’asile, les disparités d’acceptation et de rejet et les facteurs individuels et culturels pouvant influencer les décideurs, ma recherche s’intéresse plutôt au contexte dans lequel prend forme la détermination de la protection internationale, en considérant que des modèles différents peuvent affecter les espaces et les usages de la discrétion et donc les pratiques de travail développées aux niveaux individuel et organisationnel. Prenant acte de la prise de conscience du rôle crucial joué par ces institutions dans l’élaboration du système de détermination de la protection internationale et de l’importance du travail quotidien des juges, elle postule que seul un cadre d’analyse élargi incluant l’étude des solutions organisationnelles, des pratiques et des stratégies développées dans le travail quotidien des acteurs peut permettre de comprendre le fonctionnement d’ensemble du système d’asile et de saisir le rôle qu’y jouent les tribunaux de première instance. Ma méthodologie comprend une période d’observation du travail quotidien des juges et rapporteurs, qui a pour objet d’étudier les pratiques développées aux différentes étapes de la procédure, en particulier lors des audiences, mais également en dehors des audiences (« shadowing »), et des entretiens semi-directifs auprès des présidents de chambres, d’assesseurs et de rapporteurs.

Laetitia Louis-Hommani : Quels sont les principaux points saillants de votre réflexion à l’issue de votre séjour en France ?

Alice Lacchei : Bien que je n’aie pas encore effectué l’analyse comparative en détail, je peux certainement dire que l’Italie et la France, qui ont deux systèmes judiciaires très similaires, ont adopté des choix très différents en ce qui concerne le traitement des recours en matière de protection internationale. Parmi les divers aspects qui méritent l’attention, il convient certainement de mentionner les différences dans le modèle organisationnel choisi (centralisé dans le cas français et décentralisé dans le cas italien) et la modalité de désignation des juges d’asile.

Tout d’abord, le modèle organisationnel choisi a un effet sur le travail quotidien des juges. La Cour nationale du droit d’asile en France est une machine organisationnelle très grande et complexe qui nécessite un haut niveau de bureaucratisation pour fonctionner. Dans ce système, les juges d’asile ne sont qu’une partie du rouage et, tout en conservant leur indépendance sur le fond de la décision, ils ont moins de marge de manœuvre dans leur travail quotidien. En revanche, dans un système moins formalisé et bureaucratisé, comme le système italien, les juges disposent d’une marge de manœuvre beaucoup plus grande pour gérer les différentes étapes de la procédure. Dans le cas italien, les sections spécialisées, qui sont de très petites organisations dans lesquelles travaille un nombre limité de juges, tendent beaucoup plus facilement à développer des pratiques locales de section en termes d’organisation et de gestion, mais aussi à développer leur propre jurisprudence. Au contraire, en France il y a un système de nomination très particulier (ou spécifique), avec des présidents de chambre qui sont les seuls juges permanents de la Cour. Les autres, présidents vacataires ou assesseurs nommés par le Conseil d’État et par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), exercent cette fonction de manière subsidiaire avec des disponibilités variables pour siéger à la Cour. Ce système rend difficile le développement des pratiques enseignées dans le cadre des formations.

Un autre aspect intéressant lié à la nomination est la variété des origines professionnelles des membres de la Cour à Paris. Déjà dans le cas de l’Italie, où tous sont des juges judiciaires professionnels, il apparaît que l’origine professionnelle affecte les pratiques développées par les juges et la manière dont ils évaluent l’affaire. Le modèle français rend cela beaucoup plus évident, de par les différences entre juges administratifs, judiciaires et de la Cour des comptes, mais surtout entre les assesseurs selon leur parcours professionnel, (employés dans des ONG, anciens préfets, ambassadeurs, chercheurs universitaires). Cela conduit à différentes manières de mener les audiences, d’évaluer les demandes d’asile et d’appréhender leur rôle comme juge de l’asile.

Laetitia Louis-Hommani : Quel intérêt retirez-vous de votre séjour en résidence au sein du GIP IERDJ ?

Alice Lacchei : J’ai décidé de passer une période de séjour en résidence au sein du GIP IERDJ parce que cela constituait une excellente occasion pour enrichir mon parcours de doctorat que j’effectue au sein du département de sciences politiques et sociales de l’université de Bologne depuis novembre 2019.

L’Institut m’a été recommandé par l’une des professeures supervisant ma thèse de doctorat. L’université de Bologne, et en particulier le département des sciences politiques et sociales, entretient depuis des années d’excellentes relations avec l’Institut des hautes études sur la Justice, qui est devenu l’IERDJ après avoir fusionné avec la Mission de recherche Droit et Justice.

J’ai tout de suite pensé que ce pourrait être l’occasion d’acquérir une expérience dans un centre de recherche au sein d’une institution publique, le ministère de la Justice français. En effet, je crois fermement à l’utilité de la collaboration entre la recherche et les institutions, dont l’Institut constitue un excellent exemple. Cela est en effet nécessaire pour l’amélioration des institutions mais aussi pour que la recherche puisse répondre aux besoins concrets de la société et soit en phase avec la réalité. De plus, l’expérience dans un centre de recherche en dehors de l’université peut permettre à nous, jeunes chercheurs et chercheuses de comprendre ce qui se passe à l’extérieur des cercles académiques.

En outre, pour toute personne qui comme moi s’intéresse au fonctionnement de la justice et à la relation complexe entre le droit et la société, l’Institut est certainement un lieu propice ainsi qu’une référence. Je recommande d’ailleurs aux jeunes chercheurs et chercheuses intéressé·es par ces sujets de passer une période de résidence à l’Institut.

Enfin, j’ai pensé que l’Institut serait le meilleur lieu pour mener mes recherches sur le travail quotidien des juges d’asile en France. Et c’est effectivement le cas, parce que son soutien a été essentiel pour accéder au terrain et obtenir des contacts utiles pour mener concrètement ma recherche par entretiens et observations. De plus, j’étais entourée de chercheuses compétentes qui m’ont offert leur soutien à toutes les étapes de la recherche et m’ont donné des conseils très utiles pour améliorer mon travail.