Le 1er avril 2025, Émérance Dubas, réalisatrice, autrice et scénariste a présenté en avant-première la série documentaire radiophonique « Mauvaises filles, des récits de soi » qui dresse les portraits de 8 femmes ayant connu les maisons de correction de l’après-guerre à nos jours. Elle sera diffusée les vendredis 18 et 25 avril 2025 dans l’émission Par Ouï-dire sur la RTBF.
Cette séance, qui se tenait dans l’auditorium de la Scam (Société civile des auteurs multimédia), a réuni notamment les femmes qui ont témoigné dans la série, offrant une occasion unique de partager et d’échanger autour de leurs expériences.
Soutenu par l’Institut des études et de la recherche sur le droit et la justice (IERDJ), la série s’inscrit dans un projet scientifique et mémoriel. Elle s’accompagne de la constitution d’archives sur ces institutions et leurs pensionnaires, sous la direction de David Niget, enseignant-chercheur à l’université d’Angers, qui seront conservées au centre des archives du féminisme.
Dans cet entretien, Émérance Dubas revient sur la genèse de son projet, les liens tissés avec les anciennes pensionnaires et les résonances contemporaines de ces récits.




Qu’est-ce qui vous a inspirée à réaliser cette série documentaire radiophonique « Mauvaises filles, des récits de soi » ?
Emérance Dubas : Tout a commencé lorsque j’ai croisé la route de l’historienne Véronique Blanchard dont les recherches rendent compte du traitement réservé aux mineures jugées déviantes ou en danger et qui ont été placées après-guerre en maison de correction. Depuis 2015, j’ai annoté plus d’une vingtaine de carnets où sont consignées mes réflexions ainsi que toutes les rencontres que j’ai faites en 2022 lors de la sortie au cinéma de mon long métrage documentaire Mauvaises Filles. À l’occasion de ma tournée à travers la France, des spectatrices ont pris la parole pour dire « moi aussi, j’ai connu les internats de rééducation pour filles ». J’avais ouvert une porte qu’il m’était impossible de refermer. L’idée m’est alors venue d’enregistrer leurs témoignages pour que ces femmes puissent à leur tour laisser une trace.
Comment avez-vous établi une relation de confiance avec ces femmes pour qu’elles acceptent de témoigner ?
E.D : C’est à l’issue des projections en salle que j’ai fait la connaissance des protagonistes de la série. Il m’a semblé qu’elles adhéraient au film et à son approche mémorielle. Ma réalisation les mettait donc en confiance. Elles avaient aussi le désir de s’inscrire dans le sillage des femmes du film qui, les premières, avaient eu le courage de parler. Et, comme un enregistreur est souvent perçu comme moins intrusif qu’une caméra, ma proposition leur paraissait surmontable. Mais ce qui est fondamental, c’est qu’il n’y a pas de parole sans écoute. Cette évidence mérite d’être rappelée. En d’autres termes, c’est la qualité de l’écoute qui fait la qualité de la parole. Nous étions dans un rapport symétrique et notre implication a été totale. Le temps d’une journée pour chaque portrait, nous avons partagé une langue commune, secrète et souterraine.
Dans vos échanges avec les anciennes pensionnaires, quelles ont été les révélations les plus marquantes ou les plus bouleversantes ?
E.M : N’étant pas journaliste, je ne raisonne jamais de la sorte. Je n’ai pas été en quête de révélations, mais de sens. Les sept épisodes de la série se répondent les uns les autres dans le but de former un récit choral le plus complet possible sur les traces laissées par ce système répressif et disciplinaire. Avec Annabelle Brouard, nous avons mis l’accent au montage sur les violences exercées sur le corps féminin et sur le travail forcé des mineures dans les institutions religieuses.
Votre œuvre sonore illustre une face sombre de l’histoire sociale et judiciaire en France. Quelles résonances voyez-vous avec les problématiques actuelles liées aux jeunes en difficulté ou aux violences institutionnelles ?
E.M : Sans doute serai-je en mesure de vous répondre une fois que j’aurai achevé mon prochain film. Je m’interroge sur que ce que vivent les adolescentes de l’Aide Sociale à l’Enfance de nos jours. Plus précisément, c’est le passage à la majorité qui m’intéresse, quand il faut tant bien que mal se lancer dans la vie ou tenter de s’y projeter. Ce point de bascule rend visible la vulnérabilité des filles, tandis qu’il pointe la responsabilité de l’État de les protéger. Explorer cette étape du placement m’est venu à la suite des témoignages de Yolande et de Janine. Dans le cadre de mes repérages, j’ai déjà effectué une immersion dans un foyer de l’ASE et assisté à des audiences de placement dans un tribunal pour enfants. Soucieuse de connaître le vécu des jeunes filles, de fuir les idées préconçues et de m’écarter le plus possible des stéréotypes, je cherche actuellement une structure susceptible de m’accueillir pour une ultime observation : avis à celles et à ceux qui pourraient m’aider !
Synopsis de la série « Mauvaises filles, des récits de soi » : Quand le long métrage documentaire Mauvaises Filles de Émérance Dubas est sorti au cinéma en 2022, des spectatrices ont pris la parole pour dire « moi aussi, j’ai connu les internats de rééducation pour filles ». De ces rencontres à travers la France, est née son œuvre sonore Mauvaises filles, des récits de soi.Il s’agit d’une série documentaire radiophonique en sept épisodes, qui dresse les portraits de Yolande, Fatima, Véronique, Janine, Gabrielle, Josette, Françoise et Roselyne de l’après-guerre à nos jours. Comme tant d’autres, elles ont connu les maisons de correction et racontent les traces que ce système répressif a laissées en elles. Des milliers de mineures jugées déviantes ou en danger sont internées par l’État français dans des institutions religieuses jusqu’aux années 1980 dans le but de garantir leur bonne conduite. La charge émotionnelle des récits rend compte des violences familiales et institutionnelles que ces femmes ont subies, mais aussi de leurs actes de résistance. La force du dispositif sonore tient à sa qualité d’écoute de sorte que la parole advienne, intime et puissante.
La série documentaire « Mauvaises filles, des récits de soi » d’Émérance Dubas sera diffusée en deux parties dans l’émission « Par Ouï-dire » sur La Première de la RTBF, les vendredis 18 et 25 avril 2025 à 22 heures : https://www.rtbf.be/emission/par-oui-dire.
Chaque émission, introduite par Pascale Tison, présentera respectivement les témoignages de Yolande, Fatima et Véronique pour la première, puis de Janine, Gabrielle, Josette, Françoise, et Roselyne pour la seconde.
Les podcasts seront ensuite disponibles sur Auvio pendant un an : https://auvio.rtbf.be/emission/par-oui-dire-272.
Crédit photos : @claireruiz.photographies/IERDJ