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L’IERDJ organise un cycle d’ateliers pour créer une culture commune autour de l’IA

  • Alors que l’IA est au cœur des conversations et qu’elle fait l’objet de nombreuses initiatives tel que le sommet pour l’action sur l’Intelligence Artificielle qui se tient à Paris du 6 au 11 février 2025, l’IERDJ poursuit son travail de longue date sur le sujet. 
  • Conférences cyberjustice dès 2016 puis en 2023, une publication “état des connaissances” dédiée à cette thématique et désormais, à partir du 14 février, un cycle d’ateliers « Décoder l’IA » conçu pour les membres et partenaires du groupement d’intérêt public qu’est l’IERDJ. Objectif : construire une connaissance partagée du potentiel de l’IA pour le droit et la justice et de ses enjeux pour les institutions et les professions.
  • Ce cycle d’ateliers, accessible uniquement sur invitation, a officiellement débuté par une conférence publique d’ouverture en partenariat avec l’université de Strasbourg le 23 janvier dernier.
  • Harold Epineuse, directeur adjoint de l’IERDJ et Yannick Meneceur, magistrat, maître de conférences associé à la faculté de droit de Strasbourg et responsable d’études et de recherche associé à l’IERDJ, nous en exposent les différents enjeux.
Yannick Meneceur et Harold Epineuse (deuxième et troisième en partant de la gauche) avec une partie des intervenantes et intervenants de la conférence du 23 janvier 2025 à Strasbourg.

Vous avez conçu et animé récemment la conférence publique « Décoder l’IA en 2025 – actualités d’une technologie en voie de banalisation » en partenariat avec l’université de Strasbourg. Quels sont les grands enseignements de cette journée ?

Harold Epineuse : nous avons tenu à faire un point d’actualité sur les débats qui agitent le développement de l’intelligence artificielle en ce début d’année 2025. Et comme à notre habitude à l’IERDJ, nous avons tenu à le faire en croisant les regards et les prises de paroles entre informaticiens, spécialistes des sciences cognitives, politistes, sociologues, anthropologues, spécialiste des relations internationales, et bien sûr des juristes, aussi bien des chercheurs que des praticiens. Ce qui m’a frappé c’est le relatif consensus parmi les intervenants – pourtant venus d’horizons très différents – pour témoigner de ce qui est peut-être un point de bascule dans nos sociétés puisque l’IA générative en particulier s’est déployée comme produit de consommation de masse, dans un temps très court et auprès d’une grande quantité et diversité d’utilisateurs, comme aucune industrie n’avait eu à le connaître auparavant, ni pu imaginer qu’il soit possible de le faire si vite avec un tel succès. Cette situation particulière doit nous interroger car plus que jamais les pratiques se montrent en avance sur leur conceptualisation. Les investissements colossaux, les sommets et les effets d’annonce qui se succèdent montrent d’ailleurs que la bataille géopolitique de l’IA ne fait que commencer. Avec aussi son lot de batailles juridiques qui viendront tôt ou tard – et espérons-le, pas trop tard – non seulement pour trancher les conflits entre les producteurs d’IA, engager leur responsabilité et rechercher celle des utilisateurs aussi peut-être, mais également en vue de défendre un modèle de société pour lequel nous devrons réfléchir au sens nouveau que prennent nos droits et libertés dans un tel contexte.

Yannick Meneceur : cette journée a aussi été l’occasion de traiter de l’intégration concrète de l’IA dans la pratique des professionnels du droit, en allant bien au-delà d’habituelles grilles de lecture opposant bénéfices et risques. L’heure est maintenant de passer de la théorie à la pratique, et l’éclairage interdisciplinaire des intervenants a permis d’identifier les conditions d’une mise en œuvre permettant de donner tout son sens à la notion de confiance du règlement européen sur l’IA. Cette technologie a toute sa place au sein des métiers juridiques et judiciaires, pour peu que l’on prenne la peine de mesurer ses réelles potentialités, sans fantasmes, qu’il s’agisse des IA génératives ou d’autres applications comme l’automatisation robotisée de processus. 

L’IA a toute sa place au sein des métiers juridiques et judiciaires, pour peu que l’on prenne la peine de mesurer ses réelles potentialités, sans fantasmes.

Le 14 février prochain, vous démarrez donc un cycle d’ateliers dédié l’intelligence artificielle. Comment s’organise-t-il et à quels publics ou enjeux a-t-il l’ambition de répondre ? 

HE : Ces ateliers conçus pour les membres de notre groupement et nos partenaires vont permettre d’approfondir les questions pratiques que posent les défis techniques, économiques et juridiques du développement des outils d’intelligence artificielle au service des professionnels du droit et de la justice. Nous nous pencherons également sur deux usages bien particuliers de l’IA générative que sont la transcription à l’écrit d’un discours oral d’une part, et l’opération de traduction d’une langue à l’autre d’autre part. Deux usages dont on imagine facilement les applications possibles dans nos métiers. Nous avons en effet constaté que chaque profession, chaque institution, s’interroge pour elle-même sur les bienfaits mais aussi sur le comment du développement de tels outils. Or, pour la plupart les problèmes et les barrières à franchir sont les mêmes d’une profession ou d’une institution à l’autre. Il s’agira donc avec ces ateliers tout autant de partager les questionnements et les expériences des uns et des autres, que de créer une culture commune autour de l’IA. Et pourquoi pas de susciter des collaborations fructueuses : si ce n’est sur le développement de solutions, au moins pour la réalisation d’études prospectives ou d’impact que nous pourrions mener ensemble avec la communauté scientifique.

Quelles sont les inquiétudes mais aussi les espoirs que suscite l’IA tels que vous les identifiez chez les praticiens du droit et de la justice comme chez les chercheurs ?

YM: Parmi les inquiétudes souvent exprimées par les professionnels, on retrouve les craintes du remplacement de l’humain par la machine, de déshumanisation ou de perte de contrôle. Ces craintes ne sont toutefois pas toujours fondées, les mêmes arguments ayant été mobilisés depuis la diffusion de l’informatique. La recherche en sciences humaines et sociales déplace la focale vers d’autres préoccupations, probablement plus substantielles. Antoinette Rouvroy a développé par exemple depuis 2013 le concept de gouvernementalité algorithmique, en constatant que le droit, instrument central de la régulation de notre société, était de plus en plus concurrencé par le chiffre et le calcul. Moins que des espoirs, je pense que c’est l’exploitation consciente et informée de ces moyens technologiques qui libérera leur pleine potentialité. 

Il s’agira donc avec ces ateliers tout autant de partager les questionnements et les expériences des uns et des autres, que de créer une culture commune autour de l’IA.

Quelles seront les suites données à ces ateliers ? 

HE : Dans un premier temps, le contenu de ces ateliers fera l’objet d’une publication sous forme de synthèse, qui sera disponible à l’automne dans la collection “Actes” de l’IERDJ. Tout comme la conférence d’actualité du 23 janvier dont on peut déjà revoir les vidéos en ligne, bientôt sous-titrées en plusieurs langues grâce au réseau européen Epicure dont l’Université de Strasbourg est membre. Mais il sera aussi possible de consulter les actes écrits de cette journée, qui seront disponibles prochainement en français et en anglais.

Nous ferons également un bilan avec nos membres de cette première saison d’ateliers afin de décider de lui donner une suite ou non. A vrai dire les sujets comme les cas d’usage ne manquent pas, et l’actualité ne risque pas de se tarir non plus. De quoi organiser une nouvelle conférence publique d’actualité aussi, début 2026, avec nos partenaires.

Question subsidiaire : avez-vous utilisé l’IA pour répondre à ces questions ? 

YM : Si je demande à ChatGPT, il me dira que “Oui, j’ai utilisé l’IA pour m’assister dans mes réponses, mais en veillant à apporter une touche personnelle et une réflexion propre !”. Ne le croyez pas tout le temps…


Pour aller plus loin :

Regarder ou revoir la conférence du 23 janvier 2025

Découvrir le programme du cycle d’ateliers Décoder l’IA

Lire l’état des connaissances: « Impact du numérique sur la justice – Volume 2 : IA générative & décision du juge – IA générative & résolution des litiges – Identité Numérique – NFT »

Lire les actes « Les nouveaux défis de la cyberjustice : entre information, régulation et démocratie »