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Le rôle du juge pénal en matière de saisies et confiscations

Lauréat du Prix Vendôme 2022 pour sa thèse « Le rôle du juge pénal en matière de saisies et confiscations. Étude de droit comparé (France-Angleterre) », Jérémy Bourgais revient sur les points saillants de sa thèse et ses premières missions au sein de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). 

Jérémy Bourgais, le 7 décembre 2022, lors de la cérémonie de remise du Prix Vendôme au ministère de la Justice.
©Claireruiz.photographie.ierdj
Nouveaux locaux de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC).

Le juge pénal est le mieux placé pour assurer un rééquilibre entre efficacité de la répression, d‘un côté, et garantie des droits de la personne mise en cause, de l’autre.

On pourrait assortir la confiscation d’un sursis « probatoire » afin d’inciter le condamné à respecter les mesures imposées par le juge pour éviter la récidive.

Les saisies et confiscations sont en plein développement.

L’idée est que si le condamné coopère et s’investit dans une voie de réinsertion, de « désistance », alors le bien initialement confisqué avec sursis lui sera restitué. On confisque moins, mais la sanction a finalement plus de sens.

À l’AGRASC, je contribue aux diverses missions de l’Agence. Si l’une de ses missions est de proposer des évolutions législatives, elle est surtout chargée d’assister les magistrats et enquêteurs, d’exécuter les saisies et confiscations, et de gérer les biens saisis et confisqués.

Pourquoi avez-vous choisi, comme sujet de votre thèse de doctorat, le thème des « saisies et confiscations pénales », matière à la fois technique et complexe, qui peut rebuter plus d’un « apprenti-chercheur » 

Quand j’ai commencé mes recherches doctorales, mon premier défi a été de trouver… un sujet de thèse ! Le champ de recherche initialement fixé avec ma directrice de thèse était vaste : « la lutte contre la criminalité économique et financière ». Au cours de mes lectures, j’ai vu émerger les nombreuses problématiques liées aux saisies et confiscations pénales : atteintes potentielles aux droits et principes fondamentaux (droit de propriété, droit au respect de la vie privée et familiale, principe de proportionnalité, etc.), effectivité de ces mesures, sens de la sanction pénale, etc. 

S’intéresser aux saisies et confiscations nécessite ainsi de se pencher sur des questions très pointues, tout en étant capable de prendre de la hauteur pour les resituer dans le contexte du droit de l’Union européenne et du droit européen des droits de l’Homme. J’ai trouvé, et je trouve encore (!), cet exercice très stimulant.

En plus d’un sujet ardu, vous avez également opté pour une méthode exigeante, celle du droit comparé. Pour quelles raisons ? Et pourquoi comparer le droit français au droit anglais ? 

Le droit français des saisies et confiscations a été l’objet d’une refonte et d’un essor considérables dans un temps très court. Il a été transformé en profondeur au cours de la dernière décennie. On manque de recul sur les effets de ces transformations. 

L’évolution du droit anglais des saisies et confiscations est plus ancienne. Les Anglais ont en quelque sorte un coup d’avance ! C’est pourquoi il est intéressant d’étudier le système anglais, non pour importer des solutions toutes faites, mais pour anticiper les difficultés qui pourraient survenir en France s’agissant de l’effectivité des mesures, et de l’équilibre entre efficacité répressive et protection des droits des personnes concernées.

Le sujet de votre thèse est « Le rôle du juge pénal en matière de saisies et confiscations« . Les saisies et confiscations sont, comme vous venez de le souligner, en plein développement. Les thématiques qui viennent le plus à l’esprit sont le rôle de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (l’AGRASC), ou encore, les garanties accordées par le Conseil constitutionnel et le législateur aux tiers à la procédure (tels que le propriétaire du bien saisi ou confisqué lorsqu’il n’est pas la personne mise en cause dans la procédure). Pourquoi avez-vous décidé de vous intéresser au rôle du juge en particulier ? 

La protection des droits des tiers à la procédure a en effet été renforcée, il y a peu, par le Conseil constitutionnel, le législateur, et la Cour de cassation. Si ce renforcement est louable, il me semble qu’il est le signe d’un déséquilibre entre l’attention accordée au tiers et celle accordée à la personne mise en cause.

Le législateur tend en effet à rogner, texte après texte, sur le rôle du juge pour faciliter la confiscation des avoirs. Ce faisant, il détourne l’attention du juge de la personne mise en cause pour la diriger vers le bien, considéré pour lui-même. La thèse que je défends est que face à cette tension répressive, le juge pénal est le mieux placé pour assurer un rééquilibre entre efficacité de la répression, d‘un côté, et garantie des droits de la personne mise en cause, de l’autre. J’irai même plus loin en défendant l’idée que c’est précisément en garantissant les droits de la personne mise en cause, et en replaçant celle-ci au cœur de l’attention du juge, que les dispositifs de saisies et confiscations sont à même d’être efficients.

Lors de la cérémonie de remise du prix Vendôme, vous avez insisté sur la nécessité, selon vous, de « revigorer le sens de la sanction pénale pour l’auteur des faits réprimés« . Pourquoi cela vous semble-t-il si important en matière de saisies et confiscations ? Et quelles sont les pistes que vous envisagez pour renforcer le sens de ces sanctions, et le sens de la peine de confiscation en particulier ? 

L’enjeu est justement l’efficience de ces sanctions. De prime abord, il peut sembler que plus les avoirs saisis et confisqués sont importants, plus le dispositif de saisies et confiscations est efficace. Même si cela est contre-intuitif, il semble qu’une confiscation moins effective pourrait au contraire être plus efficiente. Je m’explique : on pourrait assortir la confiscation d’un sursis « probatoire » afin d’inciter le condamné à respecter les mesures imposées par le juge pour éviter la récidive. On ferait ainsi de la confiscation non pas une pénalité complémentaire, mais un outil en faveur de la réinsertion du condamné. 

L’idée est que si le condamné coopère et s’investit dans une voie de réinsertion, de « désistance », alors le bien initialement confisqué avec sursis lui sera restitué. On confisque moins, mais la sanction a finalement plus de sens. Cela implique que l’on favorise une approche criminologique à une approche strictement économique des saisies et confiscations.

Vous travaillez depuis quelques mois au sein de l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC). Quelles sont les missions qui vous y sont confiées ? Cette expérience influe-t-elle sur votre approche des saisies et confiscations ? Et, le cas échéant, de quelle manière ? 

À l’AGRASC, j’ai la chance de travailler sur des sujets très divers. Certains relèvent de la légistique (il s’agit de réfléchir à l’évolution des textes législatifs en matière de saisies et confiscations). D’autres relèvent de la coopération internationale dans et hors de l’Union européenne ; d’autres encore, de l’articulation entre la procédure pénale et la procédure douanière… Après avoir passé plusieurs années à plancher sur les saisies et confiscations d’un point de vue essentiellement théorique, je suis désormais confronté à la pratique ! Cela me permet de cerner de nouvelles problématiques, mais c’est surtout mon positionnement qui a changé. En tant que chercheur universitaire, j’avais un regard extérieur. La finalité de mes travaux était de proposer des évolutions du droit des saisies et confiscations. À l’AGRASC, je contribue aux diverses missions de l’Agence. Si l’une de ses missions est de proposer des évolutions législatives, elle est surtout chargée d’assister les magistrats et enquêteurs, d’exécuter les saisies et confiscations, et de gérer les biens saisis et confisqués. Même si je conserve mon regard critique de chercheur universitaire, mon travail à l’AGRASC a une finalité différente. Quoiqu’il en soit, je continue à faire de la recherche appliquée !

Si l’on ne devait retenir qu’une seule de vos nombreuses propositions, quelle serait-elle ?

J’ai déjà évoqué ma proposition de confisquer avec sursis, et, plus encore, avec sursis probatoire. Alors, je dirais…à l’autre bout de la procédure pénale, la phase avant-procès : ma proposition de refonte des saisies pénales, axée sur la valorisation du rôle d’un juge garant d’un meilleur équilibre entre efficacité répressive et protection des droits de la personne mise en cause !

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    Publié le 29 Nov. 2022