Voir toutes les actualités

La motivation des peines correctionnelles : une double fonction justificative et explicative

La motivation des peines étant devenue, depuis le 1er février 2017, une obligation générale et absolue dans le champ correctionnel, la question de sa traduction dans les pratiques des juridictions se pose nécessairement. Au printemps 2018, le GIP Mission de recherche Droit et Justice, devenu IERDJ, a donc lancé l’appel à projet « La motivation des peines correctionnelles », auquel a répondu Benjamin Monnery, maître de conférences en économie à l’université Paris Nanterre, Yannick Joseph-Ratineau, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Grenoble Alpes et Anne-Gaëlle Robert, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Grenoble Alpes et produit le rapport de recherche « La motivation des peines correctionnelles ».

Anne-Gaëlle Robert, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Grenoble Alpes.

Les circonstances de l’infraction, la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du l’auteur ne sont le plus souvent que succinctement énoncées et rarement mises en lien avec le choix de la peine et les objectifs de sanction et de réinsertion.

Benjamin Monnery, maître de conférences en économie à l’université Paris Nanterre.

La question de l’utilité de la motivation écrite se pose d’autant plus pour les juges correctionnels qu’il existe, de longue date, une pratique de la motivation orale de la peine lors des audiences. Cette motivation permet au juge d’expliquer directement au prévenu le sens et les raisons de la peine qu’il prononce, dans un langage qui lui est plus accessible

Yannick Joseph-Ratineau, maître de conférences en droit privé et sciences criminelles à l’université de Grenoble Alpes.

Dans votre rapport, vous prenez le temps de revenir sur le sens de la notion, sur ce que motiver veut dire. Dans quelle mesure cette nouvelle exigence remplit-elle sa fonction de légitimation et de justification dans le choix et la détermination du quantum des peines correctionnelles ?

La motivation des peines répond en effet à une double fonction : une fonction justificative qui vise à légitimer juridiquement le prononcé d’une peine en démontrant que le juge a bien déterminé la peine conformément aux critères légaux ; une fonction explicative qui invite le juge à faire œuvre de pédagogie et à expliquer concrètement les raisons qui, au-delà des critères légaux, ont guidé le choix du prononcé de la peine. En pratique toutefois, c’est surtout la première fonction que remplit la motivation des peines et encore, souvent a minima, par l’emploi de formules types ou standardisées peu étayées par des éléments factuels. Les circonstances de l’infraction, la personnalité et la situation matérielle, familiale et sociale du l’auteur ne sont le plus souvent que succinctement énoncées et rarement mises en lien avec le choix de la peine et les objectifs de sanction et de réinsertion.  En outre, même si le choix du prononcé de la peine est parfois plus amplement motivé, notamment dans les arrêts rendus par les juridictions de second degré ou à l’occasion d’affaires complexes, le quantum de la peine ne l’est quant à lui quasiment jamais. Quant à la fonction explicative, pédagogique, il n’y est que très rarement répondu : les décisions correctionnelles ne contiennent qu’exceptionnellement une adresse particulière au condamné et ne mentionnent jamais les raisons subjectives qui ont pu participer au processus décisionnel.

Comment l’obligation de motiver par écrit a-t-elle été accueillie par les magistrats rencontrés ? Comment s’articule-t-elle avec la pratique d’une motivation orale parfois répandue ? Existe-t-il une différence notable entre les deux ?

L’obligation de motiver toute peine prononcée en matière correctionnelle a été majoritairement accueillie comme une contrainte procédurale supplémentaire par les juges correctionnels, dont l’utilité a été – et demeure – fortement questionnée. Cela tient principalement au fait que les avocats et les magistrats s’accordent pour dire que les justiciables, dans leur grande majorité, ne lisent pas les décisions de justice parce qu’ils ne les comprennent pas. La question de l’utilité de la motivation écrite se pose d’autant plus pour les juges correctionnels qu’il existe, de longue date, une pratique de la motivation orale de la peine lors des audiences. Cette motivation permet au juge d’expliquer directement au prévenu le sens et les raisons de la peine qu’il prononce, dans un langage qui lui est plus accessible. En pratique, cette motivation orale est largement privilégiée car elle est jugée plus efficace par les juges correctionnels que la motivation écrite, dont le caractère subsidiaire est illustré par le recours à formules types ou standardisées dans les décisions de justice. La recherche met ainsi en évidence que, si la fonction justificative de la motivation est assurée, a minima, par la motivation écrite de la peine dans les décisions de justice, c’est dans la motivation orale de la peine que la fonction explicative – ou pédagogique – de la motivation s’épanouit davantage en pratique.

Modèle-type, trame fonctionnant comme un texte à trous : l’usage de ces outils pèse-t-il ou non sur la nature et le quantum des peines ? Quel est (ou serait) l’impact de cette standardisation sur les pratiques elles-mêmes des professionnels ?

Il est très difficile de trancher, d’un point de vue quantitatif comme qualitatif, sur l’impact réel de ces modèles et autres trames de motivation sur les peines qui sont prononcées. Mais notre recherche montre en tout cas que ces « formule-types » et autres motivations standardisées sont très récurrentes, voire quasi-systématiques, y compris lorsqu’il s’agit de peines d’emprisonnement ferme. Ces outils servent d’abord une logique de rationalisation et de meilleure gestion du temps, tant le travail juridictionnel est contraint faute d’effectifs suffisants pour traiter tous les dossiers. Dans ce contexte, les exigences accrues de motivation écrite obligent les magistrats, ou les incitent à tout le moins, à recourir à ce genre d’outils qui les éloignent d’une motivation vraiment individualisée et riche de sens. Cette standardisation est donc préjudiciable vis-à-vis des objectifs fondamentaux de la motivation (expliquer la peine aux justiciables, lui donner du sens) et la rapproche souvent en pratique d’une formalité visant à justifier a minima un choix qui n’est guère explicité. Enfin, cette standardisation de la motivation écrite peut aussi parfois être utilisée par les magistrats comme un obstacle à la contestation et à l’appel, en évitant que des points de vue trop subjectifs, des jugements de valeur ou des erreurs objectives sur certains points du dossier n’apparaissent explicitement dans la motivation.

Lire le rapport de recherche « La motivation des peines correctionnelles »

À lire aussi

  • De l’utilité de la motivation des peines et les difficultés de sa mise en œuvre
    Publié le 23 Mai. 2023