Dans le cadre de sa politique de soutien à la recherche et de ses travaux sur les enjeux environnementaux, l’IERDJ a choisi d’apporter sa contribution exceptionnelle au Mas Baudran, association créée en janvier 2023, qui a pour objet de sensibiliser et d’interpeller le grand public sur les enjeux liés à la préservation du vivant, du climat et des paysages pour les générations présentes et futures à travers la promotion de la création artistique.
A l’occasion du Salon des Maires du 19 au 21 novembre 2024, au cours duquel sera lancée une charte de la déplastification conçue par des étudiant·e·s la Clinique du droit de Paris Dauphine qui s’inscrit pleinement dans le projet de l’association, Sébastien Mabile, avocat et l’un des fondateurs de Mas Baudran et Victoria Vanneau, coordinatrice du pôle scientifique et responsable d’études et de recherches de l’IERDJ, reviennent sur l’ambition globale de l’initiative : créer des ponts entre art, droit et mobilisation citoyenne pour bâtir un avenir libéré de la pollution plastique.
Quelles ont été les origines du projet Mas Baudran et quelles initiatives ont été réalisées jusqu’à présent ?
Sébastien Mabile : Le Mas Baudran est d’abord un lieu, situé au cœur de la Camargue et une association, créée en janvier 2023, qui a pour objet de sensibiliser et d’interpeller le grand public sur la protection du vivant et de la biodiversité, de l’environnement, du climat, des générations présentes et futures à travers la promotion de la création artistique. Sofian Boutabaa, Julie Gamberoni et moi-même en constituent le Bureau.
Nous souhaitons contribuer à la construction de nouveaux imaginaires qui soient à la fois possibles et désirables, en associant création artistique, doctrine juridique et travaux scientifiques.
La résidence du Mas Baudran s’articule ainsi autour de trois piliers :
– Le choix d’un des défis écologiques à surmonter dans le cadre de la polycrise que nous vivons, afin d’en explorer les enjeux, les difficultés et les solutions pour le surmonter ;
– Une ONG qui défend un plaidoyer innovant pour surmonter ce défi écologique ;
– Un artiste sélectionné par un jury, qui, après des échanges avec les experts, scientifiques, activistes et juristes spécialisés, créera une œuvre qui servira au plaidoyer de l’ONG partenaire.
La première résidence est consacrée à la pollution plastique, véritable stigmate de l’anthropocène qui fait actuellement l’objet de négociations au niveau international pour l’adoption d’un traité mondial, en partenariat avec la Surfrider Foundation Europe.
Notre jury composé de cinq personnalités issues du monde de l’art et de l’écologie a sélectionné en novembre 2023 le duo d’artistes varois Olivier Millagou et Antoine Boudin.
Comment les travaux des artistes Olivier Millagou et Antoine Boudin, notamment à travers les sabliers en verre, contribuent-ils à la sensibilisation à la pollution plastique ?
S.M : Antoine Boudin et Olivier Millagou voulaient créer des œuvres qui soient engagées, mais surtout actives, avec la volonté de rendre visible l’invisible.
Ils ont réalisé une série de 6 sabliers destinés à accompagner la Surfrider Foundation Europe pour interpeller les institutions publiques, les entreprises, les citoyens, les députés européens pour réduire la consommation et la production de plastique. Ces sabliers en verre revalorisé et remplis de pellets et de micro-plastiques ramassés sur les plages ont été pensés comme de véritables outils pédagogiques.
Ces sabliers démontrent différemment et efficacement l’impact de nos consommations, l’urgence à agir et la nécessité d’une mobilisation collective pour un avenir sans plastique.
Chaque sablier décompte un temps correspondant à un chiffre marquant de la pollution plastique, sa production, notre consommation, son impact sur la santé, et qui impactent tous les êtres vivants et leurs écosystèmes, tant au niveau des sols, de l’air que de l’océan. Par exemple, un sablier de 3 secondes montre le temps nécessaire à un vote d’un parlementaire européen en faveur d’une loi contraignante sur le plastique. Parallèlement à cette notion de temps, ce sablier contient 70% d’une bouteille d’eau en plastique de 33 cl, à savoir 7 grammes de plastique qui se retrouvent inévitablement à polluer les milieux naturels, ces 70% représentant la part de plastique qui n’est pas gérée comme déchet dans le monde. C’est énorme ! Ce petit sablier ne laisse personne indifférent.
Parallèlement à ce projet pédagogique et à son constat alarmant, Antoine et Olivier avaient à cœur de porter un projet plus politique, plus engagé et engageant. Contrairement à d’autres combats, ils ont fait le constat que la déplastification n’avait pas son « image ». Ils ont donc dessiné un pavillon pour donner une identité à ce mouvement, permettant ainsi à toutes celles et ceux qui, au quotidien, s’engagent dans cette démarche, de se rassembler sous ces couleurs. Ils ont choisi le cachalot comme porteur de ce message car avec les autres grands cétacés il fait partie des vivants les plus menacés par les pollutions humaines. L’idée est aussi d’intégrer progressivement le terme déplastification dans le langage courant, à l’instar de la décarbonation, par exemple.
Ce pavillon fonctionnera avec « la charte de la déplastification » à destination des communes qui souhaitent s’engager dans cette démarche de réduction. Plutôt que de dénoncer des actions négatives, ce projet donne la possibilité aux collectivités de valoriser leurs actions positives de déplastification.
Vous êtes présents au Salon des maires pour promouvoir cette démarche. Quelles sont les autres étapes à venir ?
S.M : Après une avant-première à Arles lors du festival « Agir pour le vivant » à la fin du mois d’août 2024 et une exposition Marseille, au Mucem de Marseille, lors de l’édition du « Climat Libé Tour » qui s’est déroulée le 19 octobre 2024, les sabliers et le pavillon sont exposés sur le stand de l’association des Eco Maires de France lors du congrès des maires qui se tient du 19 au 21 novembre à la Porte de Versailles à Paris.
Cet évènement permet de lancer officiellement la Charte de la déplastification, associée à l’usage du pavillon, et de faire adhérer les premières communes à ce vaste mouvement citoyen en faveur de la réduction de l’utilisation du plastique. Nous souhaiterions qu’ensuite les sabliers puissent être exposés à l’Académie du climat à Paris, ainsi que dans d’autres villes, notamment à Nice lors du Sommet mondial des océans en juin 2025. Le siège de Surfrider à Biarritz l’accueillera en mars 2025.
Quel rôle ont joué les étudiants de la Clinique juridique de Paris Dauphine dans l’élaboration de la charte ? Et pourquoi est-ce essentiel pour ce projet ?
S.M : Nous souhaitons associer les étudiants à nos travaux, car la jeunesse est la première victime des pollutions sur lesquelles nous travaillons, dans une perspective de justice intergénérationnelle.
Quarte étudiants de la clinique du Master 2 de droit international de l’environnement de l’Université d’Aix Marseille ont d’abord été associés au colloque arlésien, afin de présenter les enjeux du futur traité mondial sur la pollution plastique.
Nous avons ensuite travaillé avec 3 étudiants du Master 1 de droit public de l’Université Paris Dauphine afin de rédiger la charte de la déplastification. Celle-ci vise à engager les collectivités, dans le cadre de l’exercice de leurs compétences, en faveur d’une réduction du plastique : commande publique, marchés de plein vent, restauration collective ou agriculture urbaine constituent des leviers qu’elles peuvent activer afin d’interdire ou de limiter la consommation de plastique. L’intérêt de cette charte est qu’elle n’est pas seulement incantatoire mais qu’elle contient des clauses types que les collectivités adhérentes pourront répliquer en y piochant telle dans une « boite à outils ».
Comment le projet Mas Baudran s’articule-t-il avec les travaux de l’IERDJ et quel soutien vous apportent-ils ?
S.M : L’IERDJ a mené un important travail sur le droit des générations futures, qui a donné lieu à la publication d’un rapport, dans la continuité duquel le Mas Baudran entend mener sa mission. L’IERDJ souhaite également contribuer à la diffusion du droit au sein de publics qui s’en sentent éloignés. En associant scientifiques, juristes, activistes et artistes, nous nous inscrivons dans cette démarche d’interdisciplinarité que nous estimons essentielle pour traiter d’enjeux complexes et croiser nos regards.
Notre manifeste cite Mireille Delmas-Marty, longtemps associée aux travaux de l’Institut, selon laquelle le droit doit être pensé comme un processus évolutif qui appelle à réinventer des modèles. Nous essayons modestement de nous inscrire dans le mouvement qu’elle a initié, en impliquant les artistes, considérant que les nouveaux imaginaires ne pourront susciter l’adhésion de la majorité sans recourir à la beauté, à la sensibilité et aux émotions.
Enfin, l’IERDJ demeure notre principal soutien financier, aux côtés de la Fondation Madeleine, et nous a permis de mener à bien cette première résidence.
Comment l’initiative du Mas Baudran vient-elle compléter les travaux sur les enjeux environnementaux soutenus par l’IERDJ ?
Victoria Vanneau : L’initiative du Mas Baudran vient compléter les travaux sur les enjeux environnementaux par son ambition et son originalité. En effet, le projet s’inscrit, d’une part, dans le travail de mobilisation, de sensibilisation et de promotion des travaux sur la question et, d’autre part, dans le programme Justice et écologie lancé en 2020 comme axe prioritaire de l’Institut. De plus, depuis près de 20 ans, le Groupement d’Intérêt Public sollicite et accompagne les juristes, les chercheurs et chercheuses en sciences humaines et sociales dans l’analyse des enjeux environnementaux, de leur impact sur le droit et la justice. Il participe, à sa mesure grâce aux travaux ainsi soutenus, à l’amélioration de l’efficacité du droit et de la justice dans l’appréhension de problématiques nouvelles en matière de protection et de lutte contre toutes atteintes à l’environnement et à la biodiversité. L’IERDJ s’est ainsi, au fil du temps, constitué un solide édifice scientifique qu’il diffuse et partage à un large public mais également à l’attention des acteurs et des décideurs publics.
L’initiative du Mas Baudran pose, pour ainsi dire, sa pierre à cet édifice scientifique et ce, d’une façon inédite en proposant de sensibiliser et d’interpeller la société à partir d’une création artistique qui prend appui sur une réflexion scientifique à partir d’un thème donnée : ici la déplastification. À sa manière, le projet du Mas Baudran contribue au développement des « forces imaginantes » qu’appelait de ses vœux Mireille Delmas-Marty et que l’IERDJ met au cœur des questionnements qu’il soumet aux chercheurs et chercheuses en matière environnementale.
En quoi les collaborations entre artistes, juristes et chercheurs enrichissent-elles la réflexion sur le droit environnemental et les pratiques de déplastification ?
V.V : D’une manière générale, l’IERDJ est attaché à l’interdisciplinarité dans les travaux qui permet de croiser les épistémologies et les méthodologies des sciences humaines et sociales. Ce qui importe pour l’Institut ce sont les formes de collaborations dans la recherche et les résultats qu’elles produisent. Parce que l’analyse du droit et de sa mise en pratique ne suffisent plus à convaincre les acteurs et les décideurs publics de l’urgence climatique, parce que les discours militants (ou non) sur les enjeux pour l’humanité et la biodiversité des bouleversements environnementaux ne semblent plus atteindre leur cible, depuis quelques temps, les juristes développent de nouvelles collaborations. Les artistes succèdent aux sciences sociales. Et ces nouvelles formes de collaborations produisent de nouvelles formes d’expression auxquelles l’IERDJ est sensible. Le défi est grand tant le droit et les sciences de la vie peuvent paraître inaccessibles à celles et ceux qui ne les pratiquent pas. Outil de sensibilisation et d’interpellation, l’Art permet aux juristes non seulement de populariser leur analyse mais également, sous une forme vernaculaire, de diffuser des concepts juridiques. C’est cette capacité que certains juristes et chercheurs ont d’inventer voire de réinventer les conditions de production et de prise de conscience d’un savoir juridique sur les enjeux environnementaux qui vient enrichir la réflexion sur le droit et la justice en matière environnementale.
Quel type de soutien l’IERDJ apporte-t-il à des initiatives comme la charte de la déplastification et l’exposition liée au projet Mas Baudran ?
V.V : Avant tout, soutenir une telle initiative n’a rien d’une évidence. Ce soutien est le produit d’une réflexion que l’Institut a souhaité soumettre à son Conseil scientifique : à savoir la possibilité de soutenir, de façon très exceptionnelle, des projets d’initiative innovante qui reposent sur une présentation et une expression artistique originale du savoir scientifique. En 2022, l’IERDJ a ainsi soutenu le projet de l’École urbaine de Lyon Dessiner le droit dans l’anthropocène, un projet expérimental de recherche où le dessin permet la matérialisation et la mise en perspective d’un contenu juridique.
L’initiative du Mas Baudran va au-delà. Il pousse plus loin l’innovation dans la production d’un savoir et des formes de sensibilisation. Avec ce projet, l’IERDJ passe un nouveau cap ambitieux dans sa politique de soutien à la recherche qui est à la fois opérationnel et institutionnel. Car outre la réalisation même du projet, le soutien de l’IERDJ participe à la diffusion et à la valorisation auprès d’un large public non seulement d’une œuvre artistique – expression des enjeux environnementaux – mais aussi – dans un format qui paraîtra plus classique mais qui n’en est rien tant son élaboration s’adosse à l’ambition initiale du projet –, d’une Charte de déplastification rédigée par des étudiants et étudiantes de la clinique de Paris Dauphine sous la direction de Béatrice Parance. Par ce soutien exceptionnel, l’IERDJ se positionne à l’interface du monde professionnel et celui de la recherche et contribue à favoriser les espaces d’échange entre deux mondes qui, en matière environnementale, peinent parfois à s’entendre.
Couverture : Olivier Millagou © Art of Change 21 – Eliza Morris
Le Mas Baudran
© Mas Baudran 2023