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Entretien avec Isabelle Sayn, nouvelle directrice scientifique adjointe de l’IERDJ

Isabelle SAYN, directrice de recherche au CNRS, rattachée au Centre Max Weber (CNRS, Université de Lyon) rejoint l’IERDJ à compter du 1er septembre 2022 en tant que directrice scientifique adjointe, succédant à Kathia Martin-Chenut. Entretien.

Isabelle Sayn

Laetitia Louis-Hommani : Pouvez-vous nous présenter brièvement votre parcours professionnel et vos thématiques de recherche ?

Isabelle Sayn : J’ai intégré le CNRS comme chargée de recherche en 1990 au Centre de droit de la famille (CDF, Lyon), après une thèse consacrée aux familles monoparentales qui m’a confrontée aux questions d’application du droit, en rupture avec la formation académique que j’avais suivie jusque-là. C’est le point de départ de mes différents centres d’intérêt, dans le domaine de la famille et de l’activité décisionnelle (juridictionnelle ou non juridictionnelle) et sans doute également celui de mon intérêt pour le pilotage de la recherche, indispensable aux progrès de la connaissance dans le domaine du droit et de la justice. Il s’agit en particulier de promouvoir une approche empirique du droit pour enrichir les approches normatives plus traditionnelles, ce qui impose de collaborer avec des chercheurs relevant de disciplines voisines. Pour ce qui me concerne, il s’agit plus spécialement de la sociologie, de l’économie ou des sciences politiques.

Les travaux de recherche que j’ai conduits comme les fonctions de responsable d’équipe au sein des centres de recherche auxquels j’ai été rattachée m’ont permis de promouvoir cette approche, de même que la co-direction puis la direction du Centre de recherche critique sur le droit (CERCRID). Cette préoccupation a également suscité des allers-retours entre des centres de recherche en droit (CDF, 1986-1995 ; CERCRID, 2000-2016) et des centres de recherche en sociologie (Groupement de recherche sur la socialisation, 1996-1999 ; Centre Max Weber, depuis 2017), une position intermédiaire pas toujours confortable mais extrêmement enrichissante.

Dans le domaine de la famille, je me suis particulièrement centrée sur les conséquences matérielles de la rupture, pour les enfants comme pour les membres du couple, en m’interrogeant que les limites de l’appareil judicaire et de ses outils pour y faire face. S’agissant de l’activité décisionnelle, j’ai beaucoup exploré l’univers de la sécurité sociale (branche famille : les caisses d’allocations familiales) et son rapport stratégique au droit et à la justice avant de me centrer sur l’activité décisionnelle juridictionnelle, conçue dans la continuité des décisions antérieures. Aujourd’hui, l’annonce d’une révolution numérique susceptible d’être appliquée aux décisions d’application du droit et plus largement de modifier le fonctionnement de la justice retient plus spécifiquement mon attention.

Laetitia Louis-Hommani : Vous avez déjà collaboré avec le GIP en tant que chercheuse ces dernières années : en quoi la connaissance que vous aviez du GIP peut-elle être un atout pour conduire vos nouvelles missions ?

Isabelle Sayn : Je connais le GIP de longue date. J’avais déjà collaboré avec ce qui était encore la MRDJ, notamment lorsque Georges Garioud en assurait la direction adjointe. Ma dernière collaboration portait sur la barémisation de la justice, en réponse à un appel d’offre ayant retenu trois projets complémentaires. Cette question est au croisement du droit et de la justice : les barèmes sont des normes, pas nécessairement juridiques, dont il fau(drai)t peut-être maîtriser les conditions de création (sources du droit). Ils sont aussi des outils d’aide à la décision qui facilitent le travail des professionnels dans une perspective de plus grande efficacité (organisation de la justice). Ils donnent enfin à voir différentes conceptions du travail du juge, entre individualisme et travail collaboratif, unicité des décisions ou recherche d’égalité entre les justiciables et replacent cette activité dans un ensemble plus vaste.

Dès l’origine, le GIP a su insuffler un vent nouveau dans la recherche sur le droit et la justice, d’une part en étant attentif aux questions de méthodes, d’autre part en ouvrant explicitement ces terrains à des non-juristes, enfin en faisant le pont entre les institutions et le monde de la recherche. Ces différents aspects restent d’actualité et peuvent sans doute être améliorés, même si beaucoup a déjà été fait. D’ailleurs, ces dernières années ont été l’occasion pour l’Institut d’améliorer la visibilité des travaux produits tant à l’égard du monde de la recherche qu’à l’égard des institutions. La transformation de la MRDJ en IERDJ va contribuer à rapprocher encore cette instance des membres fondateurs, dont on peut penser qu’ils seront par conséquent plus attentifs aux résultats de la recherche au service de leurs propres perspectives. Pour cela, il faut convaincre ces instances que la connaissance produite est utile à la vie publique et qu’elle est fiable, ce qui impose en retour un effort constant de méthode. La dimension « Études » introduites dans l’IERDJ devrait également favoriser ce rapprochement.

Laetitia Louis-Hommani : Quels sont les projets à venir que vous allez suivre et ceux que vous souhaitez mettre en œuvre ?

Isabelle Sayn : Les questions de droit et de justice concernent l’ensemble du monde social et l’IERDJ peut donc être conduit à susciter ou simplement à financer des travaux dans un spectre très large. Il doit cependant prioriser, en particulier via ses appels à projets, en interaction avec les besoins des membres fondateurs et en discussion avec son conseil scientifique.

Parmi les priorités, les causes, les effets et les réponses au dérèglement climatique de même que la révolution numérique sont incontournables, mais d’autres priorités se sont imposées. Sous réserve des échanges à venir au sein des instances de l’IERDJ, la thématique du rapport citoyen au droit et à la justice me semble devoir être valorisée. Des travaux sur l’accès au(x) droit(s) ou le non-recours ont montré la voie. Plus largement, la confiance dans la parole publique s’émousse, la revendication de formes renouvelées de démocratie s’amplifie et la recherche sur le droit et la justice doit se saisir de cette question sociale fondamentale. D’une façon générale, l’IERDJ manifeste l’intérêt social de la recherche et je pendrais ma part à ce mouvement.

Au-delà des thématiques, l’IERDJ doit être attentif aux impératifs de protection des données amplifiés par le RGPD et plus largement aux questions d’éthique de la recherche, tant du point de vue de l’intégrité de la recherche que du point de vue de la protection des personnes objets des travaux de recherche.

Laetitia Louis-Hommani : Quelles sont vos dernières publications ?

Isabelle Sayn : Parmi mes dernières publications, je citerai d’abord l’ouvrage collectif dirigé avec Cécile Bourreau-Dubois (Professeure d’économie) sur « Le traitement juridique des conséquences économiques du divorce, Une approche économique, sociologique et juridique de la prestation compensatoire, Bruylant (2017). Il est relativement ancien mais constitue le point d’achèvement d’un travail collectif interdisciplinaire qui a permis d’enrichir les approches traditionnelles de la prestation compensatoire. En complément, je mentionnerais le numéro spécial de la Revue Canadienne Droit et Société intitulé « Les transferts économiques entre ex-époux à la suite du divorce : logiques alimentaire, compensatoire, indemnitaire ? » (Volume 31, Issue 2, août 2016) et « La banalisation des outils d’aide à la décision : une dynamique de transformation sans réforme ? » (n° spécial de la Revue juridique Thémis intitulé Justice et réformes : un univers en tension, Montréal, n° Spé, 2020, vol. 54) pour faire le lien avec la thématique des barèmes.

S’agissant de la justice face au numérique, je citerai l’article « Extraire des informations fiables des décisions de justice dans une perspective prédictive : des obstacles techniques et des obstacles théoriques » (avec Julien Barnier et Bruno Jeandidier) à paraître dans la toute nouvelle revue JURIMETRIE (Université de Chambéry, 2022), qui fait le point d’un travail en cours sur l’analyse algorithmique du contenu des décisions de justice et, pour une approche plus large, « L’utilisation de l’intelligence artificielle dans le système judiciaire » (avec Marc Clément), à paraître également en 2022 (Daniel Le Métayer dir.).

Sur les méthodes de la recherche en droit ou sur le droit, je mentionnerais « Pour une méthode empirique de recherche sur le droit » (avec Nathalie De Jong et Marianne Cottin, dans les Mélanges rédigés en l’honneur de P. Ancel, Coll. Faculté de Droit, d’Economie et de Finances de l’Université du Luxembourg, Larcier, 2021) et « Construire une recherche pluridisciplinaire autour d’un objet juridique : à quel prix ? » (Juriprudence-Revue critique 2020, PU Savoie Mont Blanc).

Enfin, et pour le plaisir d’un retour sur mes premiers travaux, je signalerais le chapitre « Les familles monoparentales, La part du droit », à paraître dans un ouvrage intitulé Les familles Monoparentales, Etat des savoirs (M.-C. Le Pape dir., CNAF 2022).

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Biographie complète d’Isabelle Sayn (source site internet Centre Max Weber) Isabelle SAYN est directrice de recherche au CNRS (section 36 : Sociologie et sciences du droit), rattachée au Centre Max Weber (CMW, UMR 5283, CNRS, Université de Lyon). Elle a assumé les fonctions de directrice du CERCRID (UMR 5132) et de directrice adjointe de l’Institut des Sciences de l’Homme (MSH LSE). Elle est aujourd’hui membre de l’équipe Dynamiques sociales et politiques de la vie privée du Centre Max Weber dont elle assure la coresponsabilité. Ses travaux se situent principalement dans le champ du droit de la famille (solidarités familiales) et dans celui du contentieux de la protection sociale, avec un intérêt théorique et empirique pour les processus d’application du droit et ses utilisations stratégiques et donc pour les questions d’accès au droit (interprétations, accès au juge, processus décisionnel). Sur le terrain de la famille, ses centres d’intérêt sont les modalités de la rupture et ses conséquences économiques à l’égard des membres du couple (prestation compensatoire) ou à l’égard des enfants (contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants). Cette perspective l’a conduite à s’intéresser à la production d’outils d’aide à la décision créés par les professionnels eux-mêmes, notamment à destination des magistrats (guidelines). Elle a co-dirigé une recherche sur ce thème : « Les barèmes et autres outils d’aides à la décision » en usage dans les juridictions (https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-02283040v2), qui s’inscrit dans une interrogation sur les évolutions contemporaines de la justice.
Cet intérêt pour les mécanismes d’application du droit trouve aujourd’hui un nouveau terrain avec l’intelligence artificielle appliquée au domaine juridique, spécialement s’agissant de l’open data des décisions de justice et de la production corrélative d’outils algorithmiques d’aide à la décision. Elle pilote un atelier sur ce thème, dans le cadre de la MSH LSE. Ces techniques font échos aux analyses de contentieux qui constitue l’une de ses méthodes privilégiées d’analyse empirique du droit.
Elle est membre nommée du Haut Conseil à la Famille, à l’Enfance et aux Ages (HCFEA, Commission famille), en tant que « personnalité qualifiée », membre du Comité d’Éthique de la Recherche (CER) de l’Université de Lyon, membre du Conseil scientifique de l’Institut SHS du CNRS.

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