Entrevue avec Anne Ponseille et Marc Touillier, auteur·es du rapport de recherche « La motivation des peines correctionnelles et criminelles. Recherche sur les déterminants de la motivation des décisions pénales », en collaboration avec Pierre-Yves Gahdoun et Raphaëlle Parizot.
Toutes peines correctionnelles confondues, c’est le critère de la personnalité qui prime pour la motivation des peines (présence/absence d’antécédents judiciaires), puis l’infraction (essentiellement la gravité) et enfin la situation personnelle.
Anne Ponseille et Marc Touillier
Des objectifs communs sont assignés à l’obligation faite au juge de motiver : permettre aux parties de comprendre la peine, contraindre les juges à rendre compte du choix de la peine, permettre le contrôle du choix de la peine par la juridiction de cassation.
Anne Ponseille et Marc Touillier
Comment les différents acteurs (magistrats, greffiers, avocats) ont-ils accueilli l’obligation de motiver les peines en matière correctionnelle et quels ont été les effets sur leurs pratiques ?
Les magistrats siégeant au sein les juridictions correctionnelles comprennent et acceptent la motivation des peines dans leur principe, estimant pour certains devoir rendre compte des peines qu’ils prononcent et pour d’autres qu’il s’agit là d’une protection. Ils ont cependant confié un manque de préparation et d’anticipation dans la mise en œuvre de la réforme et déploré le fait qu’il s’agissait d’une énième réforme qu’il leur fallait intégrer sans réel accompagnement.
Concernant les peines correctionnelles, la réforme n’a eu que peu d’impact sur les pratiques. Pour les tribunaux correctionnels, l’encombrement des audiences et le contentieux de masse à gérer ne permettent pas de produire une motivation autre que celle standardisée consistant à reprendre des formules inspirées des critères légaux de motivation prévus par la loi. La pratique était celle-ci concernant la peine d’emprisonnement ferme auparavant, elle est la même depuis l’extension de la motivation à toute peine. Même parmi les jugements frappés d’appel, rendus sur opposition ou contradictoires à signifier, la motivation individualisée est très rare. Concernant les chambres des appels correctionnels, la pratique d’une motivation individualisée était déjà bien installée avant la réforme, même si sa qualité ou son intensité variait d’un rédacteur à l’autre. La réforme n’a fait que consacrer cette pratique et les arrêts ne comportant aucune motivation ou une motivation standardisée sont quasi inexistants.
Les autres magistrats (magistrats du Parquet et juges de l’application des peines) mesurent l’utilité de la motivation mais aussi les difficultés à sa mise en œuvre. Les juges de l’application des peines sont attentifs aux éléments de motivation relatifs notamment à la personnalité qui leur sont utiles dans le cadre du suivi de l’exécution de la peine prononcée et de son aménagement. Les greffiers perçoivent parfaitement l’utilité d’une motivation mais évoquent également les limites de sa mise en œuvre. Ils déplorent qu’elle se limite, faute de temps, à une motivation stéréotypée qu’ils doivent parfois eux-mêmes adapter en raison de l’absence d’actualisation des bases de données à leur disposition. Les avocats reconnaissent l’utilité théorique de l’exigence de motivation des peines en termes d’explication de la peine à la personne condamnée. S’ils considèrent que la motivation de la peine criminelle est un réel progrès et qu’elle existe en pratique, ils sont plus réservés quant à la motivation des peines correctionnelles qui est dans la très grande majorité des cas stéréotypée. Ils distinguent la motivation orale de la peine lorsque la sentence est rendue à l’audience et qui est rarement réalisé de celle rédigée. Les personnes condamnées sont souvent plus intéressées de savoir quelles seront les modalités d’exécution de la peine ou s’il est judicieux de faire appel que de savoir pour quelles raisons telle peine a été décidée puisque les débats sont souvent éclairants. La motivation contenue dans la décision, lorsqu’elle existe, n’a pas d’incidence sur leur pratique professionnelle, notamment sur l’opportunité de l’appel, puisque la décision contenant la motivation est adressée bien après l’expiration du délai d’appel.
Quels sont les critères identifiés et pris en considération pour établir la motivation ? Avez-vous observé des différences notables entre la motivation des peines correctionnelles et celle des peines criminelles ?
Si l’on écarte les décisions correctionnelles de première instance dans la mesure où elles contiennent presque systématiquement une motivation stéréotypée, les décisions rendues en appel montrent une mobilisation de critères variés mais également différents en fonction du type de peines prononcées.
En ce qui concerne la peine d’emprisonnement ferme en tout ou partie, les critères tenant à la personnalité, à l’inadéquation de toute autre sanction et à l’infraction sont mobilisés dans cet ordre, le critère de la situation personnelle n’était que rarement utilisé. En ce qui concerne la motivation de l’amende, les critères de la personnalité, de l’infraction puis de la situation personnelle sont ceux qui sont principalement utilisés. Le critère des ressources et des charges est assez faiblement mobilisé. Toutes peines correctionnelles confondues, c’est le critère de la personnalité qui prime pour la motivation des peines (présence/absence d’antécédents judiciaires), puis l’infraction (essentiellement la gravité) et enfin la situation personnelle.
En comparaison avec les décisions correctionnelles, il apparaît que la motivation des peines criminelles est beaucoup plus riche car il est fait référence à une très grande diversité d’éléments ou items (nous en avons dénombrés au moins 25 à l’étude des décisions). Ceci s’explique car le Conseil constitutionnel puis la loi font référence « aux éléments principaux » ayant convaincu la cour dans le choix de la peine, sans imposer de liste limitative. La motivation de la peine criminelle s’appuie davantage sur des éléments en lien avec la victime (gravité du préjudice, ressenti, traumatisme, nombre, vulnérabilité) et la situation personnelle de l’accusé (profil psychiatrique, dangerosité, casier judiciaire, âge, cheminement, attitude à l’audience…). Si l’on compare les arrêts que nous avons étudiés des cours d’assises situées en Ile-de-France et ceux des cours d’assises situées dans le sud de France, les premiers contiennent une motivation de la peine fondée de manière plus importante sur les éléments en lien avec l’infraction (circonstances, gravité, durée, récidive).
La France n’est pas le seul pays à motiver ces décisions et les peines. Quels enseignements tirez-vous des exemples étrangers étudiés (Belgique, Italie, Roumanie) quant à la réception de cette obligation et son usage ?
Les trois pays dont nous avons étudié les législations imposent, soit dans la Constitution, soit dans la loi, l’exigence d’une motivation de la peine dont l’objet et l’intensité peuvent cependant varier en fonction du type de peine ou de son quantum. Cette reconnaissance par les législations étrangère est plus ancienne que pour la France. Des objectifs communs sont assignés à l’obligation faite au juge de motiver : permettre aux parties de comprendre la peine, contraindre les juges à rendre compte du choix de la peine, permettre le contrôle du choix de la peine par la juridiction de cassation.
Les critères pris en considération pour la motivation des peines sont identiques à ceux auxquels il est fait recours en France, et qui sont aussi très proches ou identiques à ceux prévus par la loi pour l’individualisation des peines. Si nous n’avons pas pu recueillir d’éléments quant à la réception de cette exigence de motivation par les praticiens (magistrats, greffiers, avocats), il apparaît qu’en pratique, la précision de la motivation de la peine est variable d’un pays à l’autre, d’une peine à l’autre et les juges fournissent également des motivations standardisées.
Crédit photo de couverture : @europe1