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De l’expérimentation à la généralisation des cours criminelles de justice

Portrait de Christiane BESNIER Illustration pour une interview DICOM à l’occasion de la publication de son ouvrage « La Cour d’assises au 21e siècle ».
Site Olympe de Gouge, Paris 19e.
Depuis le 1er janvier 2023, les cours criminelles sont compétentes pour juger en première instance les personnes majeures accusées de crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle hors récidive légale.
Les crimes punis de 30 ans ou de la perpétuité, commis en récidive, et l’ensemble des appels restent de la compétence de la cour d’assises.

Christiane BESNIER, ethnologue, membre du Centre d’histoire et d’anthropologie de l’université de Paris-X Nanterre a dirigé la recherche « De l’expérimentation des cours criminelles départementales : une réforme souhaitable mais non sans risques (2019-2022) ». Cette recherche s’inscrit dans la tradition de l’ethnologie juridique en Europe qui pratique l’observation participante. Cette démarche se traduit par la présence physique du chercheur à l’audience et se prolonge par une réflexion théorique à partir de la norme juridique. Il s’agit d’analyser le droit « en train de se faire ». Elle répond à nos questions.

Pouvez-vous nous expliquer dans quel objectif ont été créées les cours criminelles départementales en remplacement des cours d’assises ?

Les cours criminelles départementales ont été créées pour répondre à deux objectifs : juger les affaires criminelles dans des délais plus courts, et restituer la véritable qualification criminelle à certains faits, tels que les viols, afin qu’ils ne soient plus jugés par le tribunal correctionnel mais par une juridiction criminelle. Depuis le 1er janvier 2023, les cours criminelles sont compétentes pour juger en première instance les personnes majeures accusées de crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle hors récidive légale. Les crimes punis de 30 ans ou de la perpétuité, commis en récidive, et l’ensemble des appels restent de la compétence de la cour d’assises. L’appel des décisions des cours criminelles est jugé par une cour d’assises d’appel composée de trois magistrats et neuf jurés. Concrètement, la cour criminelle départementale a été créée pour désengorger les cours d’assises. Les personnes en attente de jugement devant les cours d’assises étaient remises en liberté faute de pouvoir être jugées dans des délais raisonnables. De nombreux dossiers d’accusés libres, sous contrôle judiciaire, étaient dans l’attente d’un jugement faute de créneaux au sein de certaines juridictions pour fixer une date d’audience. Aussi, la Cour européenne des droits de l’Homme a condamné la France pour une durée excessive de détention provisoire. La cour criminelle permet ainsi aux accusés détenus d’être jugés dans un délai raisonnable  : six mois renouvelables une fois à partir de la décision de mise en accusation au lieu d’un an renouvelable une fois en cour d’assises. 

Vous avez observé les cours criminelles créées à titre expérimental dans plusieurs départements, pouvez-vous nous faire part de vos principales conclusions ?

Nous avons suivi les audiences de la cour criminelle de Caen, Rouen, Versailles, Metz, Bourges, Pontoise, Montpellier, Toulouse et Nantes. Nous avons observé au total 18 affaires. La cour criminelle apporte une réponse plus adaptée du point de vue des délais d’audiencement et de la durée des audiences notamment pour le traitement des viols. En jugeant plus rapidement et en accordant du temps aux affaires l’audience répond aux attentes des citoyens. Selon nos observations, la cour criminelle fonctionne de manière satisfaisante grâce à la pratique des magistrats et des avocats. Les professionnels démontrent une volonté de maintenir la temporalité des audiences à l’image de la cour d’assises, ainsi que le rituel et la qualité du débat contradictoire. L’expérimentation de la cour criminelle a été une réussite grâce à l’ethos des juges et des avocats soucieux de respecter l’oralité des débats dans l’intérêt des accusés et des parties civiles. La dimension restaurative de l’audience quand elle est possible a été préservée. Le temps d’audience sera dans l’avenir un enjeu déterminant pour rendre une bonne justice. Nous savons d’ores et déjà que de nombreux tribunaux sont dépourvus de magistrats à titre temporaire et de magistrats honoraires et que cela posera inévitablement problème avec la généralisation de la cour criminelle. Alors que la justice managériale veut accélérer le temps de l’audience, cette volonté se heurte à une autre demande du justiciable : celle d’une justice restaurative qui nécessite un temps long pour un débat approfondi. La justice pourra-t-elle à l’avenir répondre à cette double exigence connaissant d’ores et déjà le manque de moyens ?

La généralisation des cours criminelles prévue à partir du 1er janvier 2023 en lieu et place des cours d’assises est parfois contestée pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? 

En effet, la cour criminelle met fin, pour la première fois depuis la Révolution française, à la représentation démocratique au sein de la justice criminelle, en premier ressort. Le fait d’écarter les jurés des procès criminels constitue un recul démocratique. En outre, il existe un paradoxe entre la volonté politique d’accroître la confiance des justiciables en la justice et la décision de supprimer les jurés. La cour d’assises offre une occasion unique de rencontre entre magistrats et citoyens pour accroître leur connaissance de la justice et affirmer leur citoyenneté. La généralisation de la cour criminelle est d’autant plus étonnante qu’au même moment le gouvernement s’interroge sur les possibilités de renforcer la confiance des citoyens en la justice dans le rapport des États généraux de la justice publié en octobre 2022. On veut à la fois rendre la justice aux citoyens et priver les citoyens de rendre la justice, tel est le paradoxe. Les cours criminelles, à court terme, permettent de répondre à une attente de diligence mais à long terme, elles pourraient accroître le fossé entre la justice et le peuple. 

Il existe un paradoxe entre la volonté politique d’accroître la confiance des justiciables en la justice et la décision de supprimer les jurés.

Voir également, Arrêt sur recherche n°4 : De l’expérimentation à la généralisation des cours criminelles départementales : quelle expérience et quel avenir ?